Chez Doctolib, l’intégration de l’intelligence artificielle s’est faite progressivement, au service d’un objectif clair : améliorer la qualité et la profondeur de la discovery, particulièrement sur des sujets stratégiques comme le dossier patient. L’IA n’a pas été ajoutée comme une couche supplémentaire d’outillage, mais comme un moyen d’optimiser les processus existants, d’exploiter plus efficacement la connaissance accumulée et de rendre les analyses plus structurées et plus fiables.
Jean Mauvais, Product Designer, revient sur la manière dont ces évolutions ont transformé son quotidien et celui de son équipe : une reformulation des méthodes, une meilleure maîtrise du volume d’informations, et une collaboration PM–design plus systématique et plus fluide.

Une adoption encadrée, orientée par les contraintes du domaine
Dès l’émergence des premiers outils GPT, Doctolib a évalué le potentiel de l’IA pour accélérer certaines phases de travail.
Mais l’adoption n’a jamais été « test and see ». Elle devait respecter deux exigences fortes :
- la confidentialité liée aux données de santé,
- la rigueur des workflows internes déjà en place.
Cela a orienté l’entreprise vers des solutions capables de fonctionner dans un cadre maîtrisé, comme Dust, et d’être configurées selon ses propres guidelines.
« L’objectif n’était pas d’aller vite pour aller vite, mais de rendre plus exploitables des volumes d’information importants sans compromettre la qualité », explique Jean.
Avant cette transition, des centaines de pages de documentation, sur les besoins des praticiens, les historiques de feature ou les insights de recherche, étaient souvent difficiles d’accès ou dispersées. Leur exploitation demandait du temps, et parfois des interprétations hétérogènes selon les équipes.
Un rôle clair : accélérer, structurer, mais ne pas interpréter
Chez Doctolib, l’IA intervient surtout dans les premières étapes de la discovery : tri, extraction et consolidation d’informations. Elle facilite par exemple :
- la préparation de guides d’entretien
- la transcription et synthèse de notes d’interview
- l’identification de récurrences dans des retours utilisateurs ou documents internes
- la reformulation d’hypothèses ou de descriptions de problème
Ces étapes, autrefois répétitives et parfois longues, sont aujourd’hui réalisées plus rapidement, mais sans remplacer l’analyse humaine.
L’interprétation, la priorisation et la compréhension des causes restent entièrement du ressort des designers, PM et researchers.
« L’IA peut nous dire ce qui revient souvent, mais pas pourquoi c’est important ou comment s’inscrit le problème dans l’écosystème du praticien », précise Jean.
Cette limite est assumée : dans un environnement comme la santé, où le contexte d’usage est déterminant, les équipes restent vigilantes à ce que l’IA ne devienne jamais décisionnaire.

Personnalisation des outils et amélioration du socle de discovery
Pour rendre l’IA réellement utile, l’équipe a développé des agents personnalisés, alignés sur les standards internes et le vocabulaire métier. L’objectif : rendre la discovery plus reproductible, moins dépendante de l’expérience de chacun, et mieux ancrée dans la connaissance accumulée par Doctolib.
Trois agents Dust structurent aujourd’hui les étapes clés de la recherche :
- UR Research Question : aide à formuler les 2–3 questions de recherche qui cadrent une discovery.
- UR Interview Guide : génère un guide d’entretien cohérent avec les objectifs, le pays, le timing ou le type de praticiens interrogés.
- UR Users in the Office : accompagne les équipes dans la préparation des sessions utilisateurs, pour garantir qualité et cohérence des données collectées.
Ces agents s’appuient sur un ensemble de guidelines et de documentation internes rédigés par les User Research Ops. Ils sont également connectés aux principales sources de données (Drive, Confluence, Slack, GitHub, Zendesk, Amplitude, Design System…), ce qui leur permet de contextualiser leurs réponses et de renvoyer systématiquement vers les bonnes références.
Au-delà de l’automatisation, ces agents renforcent la continuité entre les cycles de discovery : meilleures synthèses, identification de récurrences dans les insights, aide à transformer des problèmes flous en hypothèses testables. Ils offrent un socle commun à toute l’équipe — utile aux juniors pour monter plus vite en autonomie, et aux seniors pour éviter de repartir de zéro.
À côté de ces usages standardisés, certains designers — dont Jean — utilisent aussi des outils comme Perplexity ou NotebookLM, de manière plus personnelle.
Perplexity permet par exemple d’identifier des patterns d’UX difficiles à trouver dans le secteur médical, où peu de logiciels sont accessibles pour du benchmark classique. Jean cite l’exemple de la Medical Fact Extraction, une fonctionnalité de reconnaissance et de codification en temps réel : faute d’exemples dans les EHR, il a pu analyser des mécaniques similaires dans des outils comme Grammarly.
NotebookLM lui sert ensuite à centraliser et synthétiser cette matière (parfois sous forme de podcasts), ce qui facilite le partage et la digestion de grandes quantités d’information.
Ces pratiques ne sont pas encore généralisées à l’échelle de Doctolib, mais elles illustrent la manière dont l’IA permet d’élargir le champ de référence, et d’aller chercher l’inspiration dans des domaines inattendus, tout en restant ancré dans les exigences du produit.
Une collaboration PM–Design structurée différemment
L’intégration de l’IA ne modifie pas uniquement les tâches : elle influence la manière dont les équipes collaborent en discovery.
Avant, un PM pouvait passer plusieurs heures à absorber des données avant même d’aligner le travail avec le designer. Aujourd’hui, grâce à des documents et notes structurés par l’IA, les deux rôles démarrent plus souvent sur une base commune.
« Nous avons accès aux mêmes sources consolidées, au même moment. Cela permet de réfléchir ensemble plus tôt et de mieux cadrer les problèmes », explique Jean.
Ce fonctionnement réduit les écarts d’interprétation, fluidifie les échanges et accélère la convergence vers une même compréhension des enjeux utilisateurs.

Un effort continu de partage et d’adoption
L’usage de l’IA, même avec des outils optimisés, reste un sujet d’acculturation. L’équipe DesignOps joue ici un rôle important :
- cadrage des bonnes pratiques,
- accompagnement sur l’usage des outils,
- structuration de la documentation dans Confluence,
- diffusion des méthodes lors d’all hands et de sessions internes.
Dust permet notamment de centraliser les éléments clés d’un projet (spécifications, user stories, analyses de discovery) afin de garantir que l’information reste accessible et réutilisable entre équipes et dans le temps.
Une discovery plus robuste, plus rapide, mais toujours pilotée par l’humain
L’IA n’a pas remplacé les processus existants ; elle leur a donné davantage de structure et de profondeur.
Les équipes gagnent en vitesse d’exploration, mais surtout en qualité d’accès à l’information.
Les décisions, elles, restent humaines, guidées par la compréhension fine des usages et des besoins métier.
« L’IA nous aide à éliminer les tâches répétitives et à retrouver plus vite les informations pertinentes. Mais l’analyse, la priorisation et les arbitrages restent entièrement humains », résume Jean.
Conclusion
L’intégration de l’IA chez Doctolib n’a rien d’un virage spectaculaire : c’est une transformation progressive, méthodique, et surtout encadrée. Elle a permis d’améliorer la discovery sans en dénaturer les fondements, en rendant l’accès à l’information plus rapide, plus fiable et plus homogène entre les équipes.
Ce qui ressort du retour de Jean, c’est que l’IA ne simplifie pas la complexité de la santé, elle aide simplement les équipes à mieux la naviguer. En fluidifiant l’accès à la connaissance, en structurant les premières étapes de recherche et en réduisant les variations individuelles, elle renforce la qualité du travail produit sans jamais s’y substituer.
La valeur réelle de l’IA, ici, n’est pas d’automatiser le design ou la stratégie produit, mais de créer les conditions d’une discovery plus robuste, mieux documentée et plus collaborative. Une manière d’ancrer le travail des équipes dans un socle commun, tout en leur laissant l’espace et le temps d’exercer pleinement leur expertise.




