Quand l’IA arrive dans une équipe, beaucoup se demandent si le rôle du designer est menacé. Selon Antoine Plu, non. Il ne disparaît pas, il se déplace.
L’IA ne supprime pas le design, elle déplace sa valeur là où l’humain reste irremplaçable.
Antoine a partagé cette vision lors de notre Q&A, en expliquant concrètement ce que l’IA change, et ce qu’elle ne changera jamais, dans le travail d’un Product Designer.
Avec quinze ans de Product Design à son actif (agences, start-ups, scale-ups, design systems et produits complexes) Antoine travaille aujourd’hui chez Permanent, un design studio européen qui conçoit des produits IA pour des start-ups américaines.
Depuis quelques mois, il accompagne Obvious.ai dans une configuration assez radicale : tout le monde prototype, tout le monde construit, tout le monde utilise le produit pour le développer.

Comprendre le terrain de jeu d’Antoine
Pour comprendre ce qu’implique l’IA dans le design, il faut d’abord saisir le contexte. Chez Obvious.ai :
- Pas de PM traditionnel.
- Des briefs souvent générés par l’IA.
- Une équipe d’ingénieurs senior qui shippe très vite.
- Des designers qui doivent suivre le rythme.
- Une boucle de feedback ultra-courte, parfois quelques minutes.
Dans ce contexte, le rôle du designer change radicalement. Il ne s’agit plus seulement de concevoir des maquettes dans Figma, mais de :
- Valider des flows en temps réel.
- Utiliser l’IA pour accélérer les prototypes.
- Corriger des détails directement dans le code.
- Filtrer et reformuler des briefs générés automatiquement.
- S’adapter à une vitesse inhabituelle.
- Tester dans le produit réel plutôt que dans un outil de design.
Là où l’IA change vraiment le jeu
Moins de Figma, plus de production réelle
Figma n’est plus le lieu de production. Il devient un espace d’affinage. La vraie matière se joue dans le prototype IA, dans le staging, dans le code, ou directement dans l’outil que l’équipe utilise au quotidien.
« Ce qui va compter, c’est ce que les utilisateurs voient en prod. Si ton Figma est parfait mais que la prod ne l’est pas, ça ne sert à rien. »
Prototyper vite devient la norme
Les outils IA comme Claude Artifacts, Figma AI ou Cursor permettent de produire des prototypes ultra-rapides pour valider des flows en quelques minutes. L’objectif n’est pas la perfection, mais d’obtenir un signal avant de passer à la finition.
« Tout passe d’abord par un prototype. L’idée, c’est d’avoir une première validation : est-ce que ça marche ? »
Toucher au code sans devenir ingénieur
L’IA permet aux designers de corriger de petits détails ou de modifier des composants UI eux-mêmes, sans attendre un ticket ou un développeur.
« Pourquoi passer des heures à créer des tickets pour dire “ce pixel n’est pas aligné” ? Aujourd’hui, c’est nous qui faisons ces changements. »
Résultat : moins de frictions avec la tech et plus d’autonomie pour avancer vite.
Le rythme tech s’accélère, le design doit suivre
Dans ce type d’équipe, le bottleneck n’est plus l’ingénierie, mais le design. Les développeurs shipent très vite, et le designer n’a plus le luxe de travailler “au calme”.
« Dans mes anciennes boîtes, le bottleneck, c’était l’ingénierie. Aujourd’hui, c’est l’inverse. »
Quand l’IA joue parfois le rôle du PM
Certains briefs sont générés ou alimentés par l’IA. Le designer devient alors un traducteur : repérer ce qui est pertinent, clarifier, reformuler.
« Un brief généré par l’IA, ce n’est pas la même qualité qu’un brief d’un PM. Il faut savoir lire entre les lignes. »
Construire en dogfooding permanent
« Quand tu utilises le produit pour ton propre travail, tu vois tous les cracks que t’as pu laisser passer. »
L’équipe utilise son produit pour produire. Les frictions apparaissent immédiatement, et les corrections aussi. La boucle classique “prototype → test → ajustement” devient continue. Cela permet d’améliorer les features en direct, sans attendre des cycles formels.

Ce que l’IA ne remplace pas
Le pouvoir du papier
Poser les idées sur papier, c’est libérer de l’espace dans mon cerveau. C’est la manière la plus simple de voir si un flow tient debout.
Antoine reste fidèle à une vérité intemporelle : rien ne remplace le crayon et le papier. Avant de prototyper, poser ses idées sur du papier permet de clarifier ses pensées, de vider son cerveau, d’itérer mentalement.
L’IA peut être puissante, mais le papier, lui, reste un allié fondamental.
Les principes de la conception produit
Il n’y a pas de recette magique. Les contraintes changent, mais les fondamentaux restent.
L’IA accélère, mais elle ne supprime pas les fondations : comprendre l’utilisateur, arbitrer entre valeur et effort, penser business + technique + usage, faire des hypothèses et les tester. Ces “lois du bon produit” sont toujours dirigées par une pensée humaine.
Le jugement humain
Il faut donner du contexte, être très précis. Si tu ne guides pas l’IA, elle te sort un film américain.
L’IA générera des idées, des flows, des options. Mais un designer reste indispensable pour décider ce qui est bon, ce qui va dans la vision produit, ce qui est réaliste. Le discernement, le sens du design, le “tu sens que ça va marcher” : ça ne s’auto-génère pas.
La posture collaborative
Même quand l’IA accélère les échanges, le designer reste dans une posture de co-construction : avec les PM, les développeurs, les stakeholders. Il ne jette plus ses maquettes “par-dessus le mur” ; il construit avec l’équipe, en continu, de manière itérative.

Le designer “IA + product mindset”
Avec l’IA le designer ne disparaît pas : il adopte une nouvelle posture. Il prototype vite, directement dans le produit réel, corrige les détails avec l’IA, lit et reformule des briefs générés automatiquement. Il suit un rythme effréné sans jamais perdre son intention design, construit avec l’équipe plutôt qu’à côté, et défend ses choix avec des arguments solides.
L’IA devient son outil, mais jamais son juge : c’est toujours le designer qui décide, qui tranche, qui choisit. Ce n’est pas un nouveau métier, c’est une manière différente d’exercer son métier : plus rapide, plus stratégique, et plus proche du produit réel.
Conclusion
L’IA ne remplace pas le designer. Elle lui enlève les frictions et lui permet d’être plus rapide, plus créatif, plus stratégique. Mais elle renforce aussi sa responsabilité : comprendre, juger, structurer, décider.
« Le métier change d’outil, pas d’essence. »
L’IA transforme le “comment”, jamais le “pourquoi” du design.




